« La vertu paradoxale de la lecture est de nous abstraire du monde pour lui trouver un sens ». Daniel Pennac
Après une petite pause vacances, je vous invite à découvrir un livre étonnant, ce genre de récit qui commence par vous dérouter puis vous captiver sans que vous puissiez le lâcher, au point d’y penser souvent entre deux lectures. Le genre de roman qui finit par faire partie de votre vie parce qu’il vous a permis de vous transporter dans un autre monde, tel un rêve fantastique dans lequel on veut se replonger à tout prix tellement c’est bon. C’est en tout cas LE livre de ma vie, celui dans lequel je recherche tout ce que j’aime dans la lecture d’un roman : l’évasion, la réflexion, l’étrange, la poésie, et le grand plaisir d’une écriture fluide et dépouillée, et pourtant très moderne.
« Kafka sur le rivage » Haruki Murakami
Un adolescent de 15 ans qui fuit la malédiction proférée par son propre père,
Un vieil homme simple d’esprit qui entretient des conversations avec les chats,
Une étrange bibliothécaire,
Des poissons qui tombent du ciel,
Une jeune fille aux oreilles bizarres,
Rien ne semble relier les personnages, les lieux, les faits entre eux ; pourtant au fil du récit les interrelations se feront de plus en plus nombreuses. L’auteur nous suggère ainsi que tout est lié, il n’y a pas de hasard, pas de frontière entre le passé et le présent, le réel et le surnaturel.
Tout est étrange dans ce récit, mais à la manière d’un aimant, on ne peut s’en détacher, comme le ferait aussi un rêve fantasmagorique qui vous transporte dans un monde déroutant et tout à la fois captivant. Et puis la musique, les références à la musique nous donnent l’impression d’une « bande son » discrète mais nécessaire au rythme du récit.
Ce roman à tiroirs nous invite à une réflexion sur la mémoire, le passage à l’âge adulte, la recherche du temps perdu. Mais au final, mieux vaut ne pas y chercher un sens à tout prix, et plutôt se laisser porter par le récit, savourer la poésie, la fantaisie et l’originalité de ce livre merveilleux.
Extraits :
« Confortablement installé sur le canapé, j’observe les alentours et me rends compte que ce salon est exactement l’endroit que je recherche depuis longtemps. Un endroit secret, tapi dans un creux du monde, exactement comme celui-là. Mais jusqu’ici ce lieu n’existait Ue dans le secret de mon imagination. Je n’arrive pas encore tout à fait à croire qu’il existe réellement.je ferme les yeux , inspiré profondément, et il s’installe doucement en moi, comme un doux nuage. C’est une sensation agréable. Je caresse lentement de la paume le revêtement crème du canapé. Je me lève, me dirige vers le piano, soulève le couvercle, posé mes dix doigts sur les touches un peu jaunies. Puis je le referme, fais le tour de la piece en foulant le tapis ancien aux motifs de grappes de raisin. J’allume le lampadaire, l’éteint. J’examine les peintures qui ornent les murs. Puis je me rassieds dans le canapé, et me plonge dans ma lecture. »
» – Excusez-moi, mais seriez vous monsieur Nakata par hasard ? Demanda le siamois d’une voix douce.
– Tout à fait, c’est bien moi. Bonjour.
– Bonjour, ronronna le siamois.
– Il faisait un peu nuageux ce matin, mais je ne crois pas qu’il va pleuvoir, dit Nakata.
– J’espère bien que non…
Il s’agissait d’une femelle d’âge moyen, à la queue fièrement dressée. Elle portait un collier avec un nom gravé dessus. Ses traits étaient agréables, son corps mince, sans une once de gras superflu.
– Appelez-moi Mimi. Comme dans « La Bohème ». Il y a une chanson qui m’est dédiée, vous savez. »» Je ferme les yeux et, tout en offrant mon visage à la caresse des rayons, je tends l’oreille aux bruits que fait le vent dans la cime des arbres. J’écoute les oiseaux battre des ailes, les fougères frémir. Un profond parfum de végétation m’enveloppe. Je me sens libéré de la gravité, il me semble que mon corps se soulève un peu au-dessus du sol. Je flotte légèrement dans l’espace. Naturellement, cet état ne dure pas. Ce ne sont que des sensations fugitives qui disparaissent dès que je rouvre les yeux et que je quitte la forêt. Mais j’ai beau le savoir, c’est une expérience qui me chavire le cœur : après tout, dans ces moments-là, j’arrive à flotter dans l’espace. »
» Même les rencontres de hasard sont dues à des lieux, à des vies antérieures…tout est déterminé par le karma. Même pour des choses insignifiantes, le hasard n’existe pas. »
» Nous perdons tous des choses qui nous sont précieuses…des occasions précieuses, des possibilités, des sentiments qu’on ne pourra pas retrouver. C’est cela aussi vivre. Mais à l’intérieur de notre esprit- je crois que c’est à l’intérieur de notre esprit- il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette bibliothèque, j’imagine. Et il faut que nous fabriquions un index, avec des cartes de références, pour connaître précisément ce qu’il y a dans nos cœurs. Il faut aussi balayer cette pièce, l’aérer, changer l’eau des fleurs. En d’autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque. »
Je vous souhaite une belle lecture.